Une belle rue qui conduisait de l’Hôtel de Ville au boulevard de la
Ferrage en longeant le Marché Forville et la Miséricorde.
Nous habitions à l’angle de cette rue et du boulevard. Un quartier vivace,
animé, humain. La foule se pressait au marché, les chevaux y charriaient les
sacs de victuailles, les tonneaux de vin, le matériel des paysans venus
présenter fruits, légumes ou volailles. Le boucher attendait le client à
l’angle de la Rue Forville. Dans l’impasse voisine, le marchand de glace, Poët allait
nous livrer un demi-pain de glace vive pour alimenter notre antique glacière. Plus
loin, Armand Spagnolli et son employé,
les imprimeurs, s’activaient au milieu de leurs imposantes machines. Ah, l’odeur
des encres, le bruit lancinant des rotatives, l’invincible puissance des massicots et ces mains
enduites d’encre qu’il fallait frotter à la pâte Arma. Au premier étage, la directrice de l’Académie Provençale. Au troisième, une
bien jolie fille que j’apercevais quelquefois, Mlle Cavasse ? De l’autre côté, la grande quincaillerie
Fioupou et toutes les autres boutiques dont
celle de farces et attrapes. Sans oublier enfin, les nombreux croyants venus prier la Vierge de
la Miséricorde.
Notre appartement avait une vue directe sur la Voie
ferrée. Quel luxe ! Reste de ces temps anciens où le passage des trains
attirait l’admiration des passants. Monstres noirs de puissance et leur ribambelle
de wagons. La rue se terminait par un pont enjambant la voie ferrée. Une
magnifique fontaine l’ornait. De chaque
côté l’eau coulait en permanence. Fraiche, potable, rafraichissante. Deux
employés municipaux, embauchés par charité les frères Félix et Victor Gagliasso
venaient régulièrement l’entretenir. Une
œuvre simple, belle, de l’eau limpide à profusion, tout un monde aujourd’hui disparu ! De l’autre côté du pont, la Rue
Pastour conduisait vers les hauts
de Cannes à Stan et au Continental. Une ambiance bien différente de la
grouillante rue du Marché.
Plus tard, on rebaptisa le tout : la rue
devint Gazagnaire et le boulevard, Victor Tuby. Le modernisme apporta son trafic routier intense. Au fil des ans,
les camions ne cessèrent de grossir, d’enfler, d’allonger. La rue ne pouvait en
faire autant. Une
vraie calamité quand, les voitures ayant proliféré, commencèrent à stationner n’importe
où. Énervements, engueulades, clacksons.
Le charme des trains avait lui aussi cessé d’opérer. Restait un passage continu et bruyant de jour comme de nuit.
Mais là où mon cœur saigne c’est sur cette belle fontaine de ma jeunesse
remplacée par un innommable escalier de ferraille rouillé.
Que voulez-vous, Monsieur, tout a une fin en ce monde ! disait Daudet.
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