608.2023.Pierre le migrant

Il y a un peu plus d’un siècle, des hommes et des femmes fuyant la famine et la misère sont venus offrir leur travail, leur imagination et leur intelligence à la France qui en avait tant  besoin.  Beaucoup, venant du Piémont se sont établis au Suquet. Avec leurs descendants, ils ont réalisé  une intégration réussie. Grande affection et profonde admiration à ces modestes héros. 

Leur histoire constitue en effet une véritable épopée, une odyssée qui mériterait la plume d’un Homère ou d’un Virgile. C’est à ce travail que s’est livrée Mme Baudot Laskine dans un ouvrage en deux fois trois tomes intitulés Pierre le Migrant et Tante Anna. On peut encore les trouver, difficilement, sur internet (Editions du Berger).

On y raconte les trajets éreintants entre Busca et Sospel ou Vernante et Barcelonnette, cent  kilomètres à pousser un charreton chargé de quelques pauvres affaires. L'enfant de six ans, qui suit, souliers sur l’épaule.  On y parle de la tragédie de ces femmes voyant mourir de faim leurs enfants sans lait à leur offrir. De ces enfants nés tous les deux ans faute de contrôle. De ces enfants baptisés Primo, Secundo, Tertio... On y voit ces femmes cesser le travail des champs l’espace de quelques heures pour accoucher du petit dernier. On y découvre l’accueil hostile des français, l’école publique interdite et celle, payante, des curés, l’exploitation de ces migrants trop travailleurs. On y aperçoit les luttes intestines, l’épouvantable Grande Guerre, où, heureusement, pays d’origine et d’accueil luttaient ensemble. Guerre que ces migrants ont dû mener au sein des deux armées. On y imagine la recherche à « Fuoroville » de légumes jetés ou de viande avariée. On y retrouve ces ados engagés comme « chauffeurs » sur les navires amarrés au vieux port : ils ne reverront jamais leurs parents.

Le beau texte de Mme Laskine utilise un langage vivant enrichi de mots patois qui rappellent notre passé. Qui se souvient des badagou, tchoucatino, pélandroun, castagna, chapa cane, bagna caouda, calamandran, estockefiche ou minot ? Un lexique figure d’ailleurs dans ces bouquins. Ces livres évoquent aussi des savoirs anciens : l’ombre maléfique du noyer et celle bienfaisante du châtaignier, les recettes familiales, « les poissons qui, lavés à l'eau de la rivière, ne sont jamais tant si bons », « les moutons, ils sèment des ronces », le plâtre qu’on mettait dans le vin pour en « monter le degré » ou cet olivier qu’on doit faire « pauvre pour qu’il nous fasse riche »... Merci à vous Madame Baudot Laskine.