607.2023.Les puces

1948. J’ai 10 ans. Nice, la grande foire de Noël. Une baraque de dresseur de puces ! 50 francs, l’entrée. On y va en famille ! 
La pièce est petite. Au centre, une surface plate, circulaire, blanche, violemment éclairée par des scialytiques. Nous sommes tous agglutinés autour. Et le spectacle commence.
C’est d’abord un bref topo pour nous expliquer qu’il ne faut pas confondre les puces d’hommes avec celles de chiens ou de chats. Seules les nôtres peuvent être éduquées. Le dompteur déclare d’ailleurs qu’il est prêt à en acheter au prix de 50 francs l’une (le prix d’entrée) aux chanceux qui en portent sur eux-mêmes.
Puis, il sort une boîte d’allumettes suédoises, en bois, peinte en rouge. Il en sort quatre minuscules carrosses en papier alu, les pose sur l’arène. Les carrosses avancent. Le dresseur nous montre, sous ces fragiles véhicules, les puces qui les trainent. D’autres boîtes apportent des couples de danseurs que des puces font valser. Les puces sont fixées à demeure sous leur carapace d’alu. Le dompteur montre son avant-bras, velu, dont il a rasé une surface pour y nourrir le soir ses protégées.
Les numéros se suivent. Une puce porte une charge énorme, une autre saute. Proportionnellement, nous serions capables de franchir la Tour Eiffel. Une puce est posée sur le dos. Le dompteur dépose délicatement une minuscule bille sur ses pattes qui s’agitent. A son ordre : « Jette », la puce envoie la bille en l’air. L’exercice est répété. Chaque fois avec succès. A tout autre ordre, rien ne se passe.
S’agissait-il d’une mystification ? S’agissait-il réellement d’un dressage ? Bien sûr, Wikipédia explique tout ça. Mais, est-il judicieux de vouloir rationaliser le rêve ?