718.2025.Le Stantor de Bayard

Elle fut douce la retraite de Jacques. 
Quand l’âge fut venu, il céda à son fils la charge de sa petite entreprise 
et ne garda pour lui que celle du magasin de détail. 
Dès lors, chaque matin, il descendait de son logement, 
situé au-dessus du magasin, à une heure raisonnable,
revêtait son tablier bleu, ouvrait le rideau métallique 
et ne manquait jamais de remonter son vieux réveil Stantor pour une nouvelle journée de travail. 
Il ne lui restait plus qu’à attendre les clients du jour, pour beaucoup des amis, venus tailler une bonne bavette et remplir leur bouteille.
La pièce tout en longueur ouvrait sur la rue par une porte vitrée voisine d’un présentoir orné de belles bouteilles. 
Le mur de gauche était consacré aux spiritueux : 
Champagnes, Absinthes, Ricard et Pernod, Picon, Dubonnet, Marie Brizard, Riqlès ou Fernet-Branca la panacée  des maux de ventre. 
Celui de gauche était plus raisonnable avec les sirops, les limonades  et une profusion d’eaux minérales  dont certaines me semblent avoir disparu comme l’Hôpital à l’infect gout soufré. 
Jacques se tenait à l’arrière devant une grande table sur laquelle, entre deux visiteurs, il réparait les caisses fatiguées, redressait les clous rouillés et tordus pour leur donner une nouvelle vie. Derrière lui, trois tonneaux pour remplir les bouteilles des clients. Du rouge, en 9, 10 ou 11 degrés.
La vie s’écoulait, calme, tranquille. 
Et puis un jour, une opération mal conduite et Jacques nous quitta.
La semaine suivante, après le deuil, ma Mère prit sa place 
mais, bien que remonté à fond, le vieux Stentor ne voulut plus jamais repartir. 
Tel un chien fidèle, il n’avait pas survécu à son Maître.

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