751.2025.Un choix de vie.

La vie est une succession de choix. A chaque instant, il faut choisir. Ne pas choisir, c’est choisir quand même. A l’évidence, il y a les bons choix et les mauvais. Mais on ne le sait qu’après. Il y a bien plus souvent les neutres, ceux qui agissent fondamentalement sur les futurs possibles sans qu’il y ait forcément une bonne et une mauvaise voie. Entre deux amours, on choisit, on constate l'un, on ignore l’autre. Il y a les choix enthousiastes et les résignés. Il y a les conscients, les importants mais aussi les petits, les insignifiants ceux qu’on prend sans y réfléchir, voire sans le savoir et qui pourtant pourront s’avérer déterminants. Chacun d’entre eux sépare l’éventail des avenirs possibles de celui des futurs interdits, ceux qu’on peut parcourir et l’infinité de ceux auxquels on a renoncé. Au moment de quitter la scène, on revoit sa ligne de vie, cette infinité de bifurcations franches ou subtiles, de ruptures ou d’infléchissements. Elle seule a été parcourue parmi les milliers, les milliards d’autres itinéraires potentiels. Heureuse mécanique quantique où une particule peut parcourir simultanément plusieurs chemins distincts, heureuse cosmogénèse où des savants fous imaginent des univers multiples qui se dupliquent à chaque événement.
Ainsi, le bac en poche, je me questionnais : que faire ? Prendre la suite du commerce paternel ? Le paternel en question me le déconseillait fermement. Poursuivre des études ? En lettres ? En science ? Sans conseil autour de moi, j’optai pour la facilité : ce serait Math Sup. Ce faisant j’abandonnais le latin, les lettres, l’histoire-géo, le dessin et le sport. Une année pénible.
Une brochure trônait en salle d’études. Elle proposait le concours des Arts et Métiers. Je le tentai. Je fus retenu. J’y entrai. J’y terminai major. Un choix de vie, parmi tant d’autres.

750.2025.Sic transit

Le hasard me conduisit vers les études classiques. J’y découvris le monde antique, berceau de notre civilisation. J’y fréquentai le latin, ses déclinaisons, « rosa et dominus », sa rigueur grammaticale, « non solum sed etiam », ses conjugaisons irrégulières, « fero, fers », ses tournures bizarres, « luna mentitur », ses phrases chocs, « Alea jacta est », son histoire, « delenda est Carthago » et ses drames, « tu quoque fili ».  
Aujourd’hui, j’ai eu envie de rendre hommage à nos lointains ancêtres latins. Bien sûr, ils se sont imposés par la force et l’ordre, valeurs actuellement méprisées. Évidemment, ils ont écrasé les peuples celto-ligures. Mais comme ils nous ont enrichis. Comme leur culture reste vivace parmi nous ! Oui, elles sont gravées à vie dans mes neurones ces pages entières apprises par cœur : l’Enéide « Haec ubi dicta cavum conversa... » ou les Catilinaires « Lucius Catilina fuit magna vi ... ». Le vieux Gaffiot est encore là, sur son étagère rappelant ma joie quand j’y trouvais une citation toute traduite de Cicéron ou de Tite Live.
Cette civilisation a su intégrer le meilleur de la Grèce antique, le rationaliser, l’enrichir. Elle a su parer notre Monde d’édifices sublimes, thermes, ponts, théâtres, trophées et le divin pont du Gard. Elle a su l’ordonner en le quadrillant d’innombrables routes telle notre chère Via Julia Augusta. Elle a su le rendre plus juste avec son Droit Romain. Elle a su développer les outils techniques qu’on peut admirer au merveilleux musée de  Naples. Elle a su développer la Science avec Archimède, Ptolémée ou son imposant « De rerum natura ». Elle nous a enseigné la Sagesse, « mens sana in corpore sano » et le bon sens, « bonum vinum laetificat cor hominis ». Elle a su rester présente dans nos villes, avec ces devises inscrites aux frontons des monuments publics, « Ad augusta, per angusta » ou l'inquiétant, « Vulnerant omnes, ultima necat ». Merci les Anciens !
Et puis un jour, les hordes de Vandales et autres Visigoths sont arrivées détruisant tout sur leur passage. « Memento mori ».
Mais une autre magnifique civilisation, la civilisation chrétienne, allait s’épanouir avec ses prodigieuses cathédrales gothiques. Promis, demain, j’arrête d’être pédant.

749.2025.Le Bas-Varois

Il s’appelait Meyer. Il était prof d’allemand.  
Il se disait bas-varois étant natif du sud du Var. 
Il tenait une rubrique dans Nice Matin dite « Mine de rien ». 
Pour mon bac, j’eus droit à son laïusse du jour. 
Soigneusement conservé dans mes archives enfantines. 
Il disait :
"Dans la vie, il y a les agités, les inquiets d’une part et les placides de l’autre.
Je les ai vus ces jours-ci, les inquiets dans la cour du lycée Felix Faure, 
attendant les résultats de l’oral du bachot. 
Ils erraient comme des bêtes traquées, 
levant à chaque instant les yeux vers les salles de délibération ... 
« Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien f... là-haut ? » ... 
J’ai eu l’exemple d’un placide. 
A midi ... il a pris tranquillement le car de Cannes 
pour aller déjeuner chez ses parents ... 
« Les résultats, m’a-t-il dit, je les saurai demain par les journaux ». 
Il a d’ailleurs été reçu avec mention.
Ce placide, qui est le fils de mon marchand de vin, veut être professeur ... 
Moi, je connais un professeur qui voudrait bien être actuellement marchand de vin 
s’il pouvait revendre celui qu’il a absorbé depuis son entrée dans la carrière".

748.2025.L'Abbé coule

C’était en d’autres temps. 
L’abbé Otta, qu’on appelait affectueusement « l’Abbé » 
nous conduisait l’été en colo au Monastère de Saorge. 
Il était accompagné par un autre abbé dont j’ai oublié le nom. A consonance piémontaise, bien sûr. Mauro, peut-être ? Disons Mauro ! 
Le Mauro en question était curé mais un fameux balèze. Style Don Camillo. 
Le séjour était rythmé par les repas rustiques mais copieux, les activités sportives de l’après-midi, 
l’histoire du soir racontée par l’un des abbés et les nuits de plomb sur d’authentiques paillasses. Oui, en paille, quoi ! 
Souvent, l’après-midi, nous descendions prendre un bain dans la Bendola, au lieu-dit « le bain du Sémite ». 
L’eau verte, limpide et glaciale nous attendait.  
Alors là, il y avait les prudents, les sages, les timides. J’en faisais partie. 
Nous faisions trempette dans une sorte de cuvette où même les plus minus, les minots, gardaient pied. 
Et il y avait les intrépides, les sportifs, les imprudents. 
Eux n’hésitaient pas à remonter le cours d’eau malgré ses « rapides ». 
Ce jour-là à peine arrivés, encore tout en sueur, nous nous apprêtions à barboter. 
L’abbé Mauro prend son élan et exécute un royal plongeon dans l’eau glacée. 
Et le voilà instantanément figé, bloqué, coulant. L’inquiétude nous fige. Comment gérer la situation ? 
Que faire d’un abbé d’un quintal ? Et un quintal inerte, ça pèse deux fois plus ! 
Que faire avec nos quelques 30 kilos tout mouillés ? L’abbé Otta debout en soutane et sandales sur un rocher à fleur d’eau, des enfants à l’eau qui poussent, d’autres sur le rocher qui tirent. 
Efforts contradictoires, peu efficaces. Les mains glissent, les pieds aussi. Panique. 
 L’abbé Mauro réagit enfin. Le voilà tiré sur le rocher, le voilà assis, le voilà respirant. 
 Ouf. Là-haut, dans le ciel, on sourit. Bravo les enfants !

747.2025.L'enfer d'Amazonie

En pleine jungle du Praia Tonga, non loin de Tabatinga. 
Le Soleil peine à percer un peu le dôme végétal qui nous entoure, nous étreint, nous étouffe. L’humidité constante et la chaleur soutenue exacerbe la végétation. 
Les arbres se dressent partout, luttant pour leur espace de survie. La mousse recouvre tout, les rochers, les branches pourries. Dans ce monde agressif, la vie grouille. 
Les serpents venimeux enroulés sur les lianes nous guettent au passage. 
Et partout, incessants, obsédants, inquiétants, les cris saccadés des singes hurleurs. Ils marquent leur territoire par leurs cris qu’on entend à des kilomètres. A chaque détour du chemin, on s’attend à voir surgir un jaguar. Ou le marsu. 
L’eau est partout. Elle suinte des feuilles, elle stagne dans des mares puantes, les ruisseaux gluants. Le grand anaconda peut y cacher ses douze mètres prêt à s’enrouler autour de nous, de nous étouffer, de nous  avaler en entier. Attention au redoutable caïman noir qui chasse aussi dans l’eau croupie. Six mètres de long, une force suprême, une gueule surpuissante, une attaque infaillible.  Sans oublier les redoutables piranhas capables de nous dévorer en quelques minutes. 
Et puis, il y a les autres, les  milliers d’arthropodes, les insectes, les araignées, les scorpions, les mygales géantes, les fourmis légionnaires, tous prêts à nous injecter leur venin toxique pour dissoudre notre chair.  
« Té, couillon , dit mon Père, c’est la Siagne ! »